Le Caligula qui nous a été proposé au théâtre du Maillon, à Strasbourg, en ce mois de décembre 2023 fut une expérience sociologique intéressante. Je ne sais rien de ce qu’à voulu faire Jonathan Capdevielle, n’ai rien lu de ses intentions et vais vous restituer comment moi je l’ai vécu et compris.
J’étais au troisième ou quatrième rang dans la salle : étant seul et les places étant en placement libre, j’ai pu me mettre entre deux personnes assez facilement. Devant moi, deux copines d’une trentaine d’années, je pense (ou alors des filles plus jeunes ravagées par la cigarette, je ne sais), discutaient. L’une d’elles racontait qu’un gars – un probable inconnu abordé virtuellement sur une application de rencontre – avait fini par rompre avec elle (enfin ELLE avait rompu avec lui, naturellement) car il devenait lourd. En gros, il lui écrivait des messages aux informations tronquées pour voir si elle allait s’intéresser à lui en lui posant des questions pour avoir des précisions, et il lui semblait évident qu’elle ne s’intéressait qu’à elle. A un moment, elle montra à sa copine ses photos en petite tenue et semblait avoir des centaines de photos d’elle sur son téléphone. Elle avait un chien qu’elle devait promener : je sais le détail paraît insignifiant mais ça mène quand même vers le portrait de la parfaite connasse citadine sans intérêt au-delà de trois nuits. La fille, pas vilaine mais loin d’être belle, ce genre de femmes revanchardes qui veulent qu’on les traite comme des princesses capricieuses mais sans avoir la noblesse d’une vraie princesse, me semblait à moi aussi totalement égocentrique et creuse, genre à vous coûter beaucoup de temps et d’humiliations pour pas grand-chose de bien au final. (La deuxième avait l’air beaucoup plus profonde, qui était juste devant moi et dont je sentais l’odeur – j’ai eu envie de lui caresser le cou à plusieurs reprises…) A ma droite une très belle femme d’une quarantaine d’année (accompagnée) et dans le rang derrière moi que des cheveux blancs à lunettes.
Dans la version ici proposée, Jonathan Capdevielle – dans le rôle de l’empereur Caligula lui-même – en avait fait quelque chose de pleinement grotesque. Sa diction et ses manières de bouger imitaient parfaitement celle de Philippe Katerine. L’ambiance – glauque et malsaine comme devait l’être la cour de Caligula, et comme doit être la pièce de Camus – avait des airs d’années 1970, avec un lourd un reflet de Pasolini.
On retrouvait bien ce dérèglement commencé dans ces années et les débuts de la deuxième chute anthropologique, alors que la pièce est de 1944. Or, non seulement la version de 2023 prenait des années 1970 pour la ramener à nous, mais elle en faisait quelque chose de contemporain par hyperbole (et encore…). Je ne sais pas si le metteur en scène l’a voulu au premier degré ou si mon interprétation va être la bonne, mais, tout comme le Dom Juan de David Bobbé, la pièce tendait un miroir à un public trop con pour s’y reconnaître. Ou s’y reconnaissait sans oser bouger, sans montrer qu’il avait compris, mangeait le plat sans faire de grimace avec l’air digne de l’accepter comme une punition légitime…
En effet, au milieu de rochers de plage méditerranéenne, Cherea était joué par une femme, mais quoi de plus normal dans un monde qui vénère les transgenres, un monde qui prime un homme à barbe déguisé en femme à son concours de musique européen, un monde où le banquier interlope dirigeant la France fait venir des homosexuels noirs dans la cour de l’Elysée pour la fête de la musique, et qui a fait de la perversion LGBTQHDGFU+ les apôtres de sa nouvelle religion.
Caligula parlait comme un demeuré, lentement, comme un long clip de Philippe Katerine qui n’en finirait pas. Vers la toute fin, les personnages se mirent à parler italien avec des sous-titres en français, puis en français avec des sous-titres italiens inutiles, pendant quelques secondes aucun acteur ne parlait en italien et la traduction bande-son était traduite en français, plus rien n’avait de sens, le langage parlait seul (« ça parle » disaient les structuralistes sous Foucault et Sollers). Caligula, grassouillet, maquillé, laid, traveloté et bouffon semblait vouloir déclencher les rires bêtes pour que les idiots se dénoncent d’eux-mêmes. Face à cette farce – ce qui, là encore, a un sens profond dans la pièce –, devant cette laideur décadente, à prendre la pièce au premier degré, il aurait fallu se lever et sortir de la salle, tant c’était moche et con ; mais la réaction du public était à voir comme une expérience de Milgram (qui oserait partir, protester voire aller sur scène pour faire l’imbécile lui aussi ?) et cet aspect était tout à fait enthousiasmant. Je me mis donc à regarder le public et à me désintéresser de la scène. J’ai ri à voir ces vieilles personnes subir stoïquement ce déluge de bassesse. Peu ont osé sortir, une quinzaine peut-être, les autres sont restés se prendre une tornade de merde dans la figure, celle que leur génération a voulu et a créé. Comme si l’enfant de 1976 avait voulu offrir à ces révolutionnaires plus près de la tombe que du temps des cerises, le plat qu’ils avaient commencé à cuisiner dans leur jeunesse de la laideur et de la déraison. Ce monde mérite des éjaculations faciales, et de temps en temps des êtres avilis payent pour s’en prendre !
J’ai donc trouvé parfait qu’on présente un plat de merde à la génération qui a voté pour Macron, qui a mis des masques, s’est fait injecter par de l’ARN messager, qui a applaudi les confinements détruisant économiquement la France mais qui devait sauver leurs vieux os de bourgeois croulants, qui croit au réchauffement climatique de nature anthropique, qui a écouté Castex et subi les plages dynamiques et le Covid qui n’infecte personne en dessous d’un mètre vingt, qui défend la mafia européenne faute d’être assez courageuse pour se dire que le projet a échoué. Il était bon que tous ces vieux connards imbéciles soient obligés de manger leurs excréments comme dans Salò de Pasolini, qu’on les choque encore, qu’on les malmène même si certains affectaient un détachement désabusé voire approbateur. Non, c’était insoutenable, c’était débile, des vrais courageux seraient monté sur la scène pour faire les cons dans cette grande connerie, ou auraient manifesté un courroux conservateur face à ce post-modernisme trop décomplexé.
Malheureusement, j’ai dû partir vite pour prendre le dernier train à 23h20. La pièce, qui commençait à 20h30, devait se terminer à 22h30 ; or, quand je vis l’heure dès les premiers applaudissements, il était déjà 23h ! Un temps déraillé, “out of joint” dans un Royaume de France totalement pourri. Je n’aurais jamais eu le temps d’arriver jusqu’à la gare en 20 minutes. Heureusement, dans ce monde déglingué, le train avait 15 minutes de retard, puis 20 puis 40 : je pus être dedans sans problème et ma nuit fut normale grâce à l’anormalité ambiante. Je suis déçu de ne pas avoir eu le temps de discuter avec la princesse futile à chienchien ou quelques cheveux blancs. Les quelques vieux croisés dans le tram m’ont ravi, ils étaient dépités et sarcastiques ; j’ai failli leur dire que tout ça était bien fait pour eux, sans doute une forme de crachat à leur face répugnée, mais je n’avais pas la soirée bagarreuse, j’avais assez ri comme ça, des rires idiots des collégiens et des visages figés des Woodstockiens.
Je rentrai et fis de la musique – seules les notes sont préservées de tout, pour le reste ce fut drôle et la leçon de la pièce de Camus avait respectée : 80% des êtres humains sont des lâches débordant de bassesse.
