Accueil » “Albums” » Scintillements de fin des temps » Les points de suspension…

Les points de suspension…

J’ai un peu trop ouvert ma gueule et elle a dû me sanctionner…
Et pour être sûre que je sois le seul, elle s’est vue vite me sectionner
Elle me croit mis en joue au coin au mur, c’est elle la mouche scotchée à sa procédure
Elle a joué elle me croit mort, mais ses balles valent que dalle et je jouis d’être plus dur…
Elle est coincée avec sa prose administrative qu’elle sait devoir être irréprochable
Et moi je peux prendre la pose créative à faire rimer ‘prout’ et ‘mammouth’1 sous ma plume libertaire
Plus me fais-t-elle les gros yeux et me sermonne, plus c’est moi qui la renvoie au bac à sable
Car si elle me tape dessus, la bonne, alors je n’ai rien moins envie que de ne pas me taire
Elle m’a donc suspendu…
Elle voulait montrer un cadavre aux collègues
Pour que les lâches, les mesquines, les petits sgegs
Comprennent qu’un coup (donné) en vaudra deux rendus
Elle m’a donc suspendu…
Pour que mon corps se balance au bout de la potence
Mais c’est ma potentialité de nuisance, un peu de ma puissance
Que je retrouve de manière inattendue
Elle m’a donc suspendu…
Parce que mon ironie écornait son autorité
Dira-t-elle comme motif que je riais à son nez irrité
Et qu’à chaque pique dans les narines un peu plus sa statue était fendue ?
Elle m’a donc suspendu…
Mais avec en sus ma pension
J’ai ma paye délivrée et ma parole libre -–félicitations :
Elle a donc tout perdu !
Puisque j’ai du temps, je vais donc vous parler un instant des points de suspension comme les articles de la paperasse que j’ai signée avant qu’elle ne m’invite à quitter son établissement manu militari comme une maladie contagieuse : la liberté d’expression est une forme de terrorisme dans la violence feutrée du nazisme à nichons, ses coups sans ecchymoses, ses suppressions sans supplices, ses sévices sans apparente pression, sa gangue de langage qui a mis un lange autour de son maître le démon, ses prisonniers sans barreaux et ses empoisonnés sans bourreaux, sa police sans visage, sa technologie au service de la folie, la mise en esclavage des humains dans un grand délire babélien de contrôle.
Mais au contraire…
Les points de suspension… c’est le sens évasif, qui s’évade, qui laisse un vase vide où tu mettras toi-même de vagues visions vaporeuses de sous-entendu. C’est le début d’une chaine qui termine dans l’invisible, les premières marches où le non-voyant ne peut placer ses pas, un passage vers la poésie, un chemin de petites pierres que les enfants laissent tomber sous leurs pieds pour ne pas s’écarter du fil, là où se perdent les adultes, si sûrs si sots (oh : sots si sont !)…
Les points de suspension… c’est une corde en pointillés qui attrape les pièces d’un puzzle que tu ne comprends parfois pas, dans l’implicite, dans l’impliqué, dans l’implacable compliqué, les premiers pieds préludés d’une poésie rapiécée et estompée, une partition sans portée qui laisse pointer des notes dans une entreprise dont le patron a syncopé parce ce que la coupe était pleine de pépins… …c’est l’imparfait de l’approximatif : j’apeupraisiraterai ; et puis passons : qui peut piger reprends en premier et perd son temps à expliquer à son prochain l’imprécis impossible à dépasser !
Les points de suspension… de toute part des 'plics' 'placs' 'plocs' de pluie qui s’emploient à dépolir la place, à déployer des plots pléthoriques sur le papier pour que le pli décuple le plaisir de l’incomplet, là où la plèbe, les ploucs, les pleutres pelotent la platitude du point à la ligne, cet accouplement plan-plan appliqué, apoplectique, à plaindre, à déplorer, à en faire pâlir le blanc… Le simple point, c’est comme un plan à trois, où il n’y a personne à part toi, ton {pénis/pubis} et ta peine…
Trois points… qui commencent une nouvelle phrase en majuscule, une phase de bascule où les calculs reculent sans point d’arrêt, l’un s’ouvre en soleil2 et rejoint la pleine lune3, pour une osmose qui fait rougir le jour et dénoyaute la nuit, sous le souffle fécond de l’esprit4. Ça se déploie comme une pétarade de pissenlit, ça vient coller des mots partout sur les murs, la morale, de la parole qui s’approprie les parois de la conscience et nettoient l’âme ; ça fait des textes qui osent rappeler des choses, des bramements sans bruit, des stances en silence qui insultent avec insistance jusqu’à ce que le sens s’insère au plus profond des viscères et fassent invociférer l’insincère. Ça dit : cris des ‘oui’ bien hauts quand ils sont beaux, et – quand il le faut – des ‘nooooon’ bien ronds, bien longs, bien pointus qui s’enfooooncent, qui groooondent, qui t’honorent pour de bon.
Trois points… comme des ponts sans poids et sans pieds qui mènent à l’apogée, pendus à deux horizons qui se saluent et ne se rejoindront jamais mais se respectent de loin, dont on ne voit pas le bout (à ces cons de ponts), suspense, avance, pense et dépense sans compter, saute de pion en pion dans un grand jeu sans règles clairement définies et va empoigner le soleil avant-même qu’il ne poigne : deviens feu deviens fou deviens fort, fais l’effort de te tromper avec honnêteté et trempe de toutes tes tripes dans la boue du doute sans te terrer dans la troupe. Va, rêve, vis, reviens : ta pitance essentielle ne te sera pas donnée par de piteux pitres piégés dans la trape de leur pointilleux service poubellique, ce pote pitoyable, cette pute pathétique, cette pâte pas très éthique ni patriote – tu valais mieux qu’être fonctionnaire apeuré et lâche, tu valais mieux qu’être professeur à pleurer pour ces petits qu’on gâche, tu valais mieux que tapir tes épaules pour pâtir d’une piètre partie sans panache
Elle m’a donc suspendu… mais trois (derniers) points et on n’en parle plus, elle pourra papoter avec mon popotin, s’il lui plait…
…premier point5 : pour avoir refusé de faire la minute de silence le courage  est mien,
…deuxième point6 : en m’abstenant de scruter comme un flic lequel de mes élèves musulman ne serait pas assez républicain, je pense avoir fait le bien,
…troisième point :7 …non, rien…

Notes

  1. Oui, en restant digne et droit dans mes baskets, j’ai fait chier la bête… ↩︎
  2. Ouvre la main gauche. ↩︎
  3. Les deux mains, une ouverte et l’autre poing fermée se rejoignent devant le visage. ↩︎
  4. Souffle sur les mains. ↩︎
  5. Lève le poing gauche. ↩︎
  6. Lève le poing droit. ↩︎
  7. Ramène les mains ouvertes pouce sur la tempe et tire la langue comme le font les sales gosses… ↩︎