Deuxième version enregistrée le 24 février 2015, avec un petit raté à la fin.
Texte
1 Les roses rouges
Il n’ose
Fait une pause
Son pouls s’embrase
Il prépare ses phrases
Il recule, bat en retraite
Mais puisqu’elles sont prêtes…
Il n’ose
Fait une pause
Son pouls l’embarrasse
Voilà qu’elle passe.
Cet instant l’image ne peut le rendre : elle est superficielle et à la marge du sens. Elle pense montrer mais rend aveugle, car elle ne peut dire le cœur qui bat trop vite, la résolution tragique qu’il a fallu pour en arriver là, le sang qui s’emballe, l’écheveau des possibles qui se noue dans ce cerveau bousculé, le tremblement des mains sur les tiges. Elle s’étale, faussement révélatrice, creuse, trompeuse par sa mystificatrice apparence. Seuls les mots peuvent dégorger la réalité !
Il se lance
Et se cogne
Sur son silence.
Elle l’ignore sans vergogne
Et les roses lui restent sur les bras.
2 La feuille blanche
La feuille morte
D’être toute blanche
Il faut que ça sorte
Que ça s’épanche
Il suffit qu’une phrase appelle une seconde
Vient le Verbe et voilà le monde
La feuille morte
Empoigne la clenche
Ouvre cette porte
Que ça coule comme une avalanche
Et pourtant même les mots mentent. De bonne foi. Ils croient parvenir à dire, ils ont avec eux le temps des nuances, la justesse de leurs enchaînements dans des phrases, la flexion de livres entiers, la patience des bibliothèques complètes et il leur échappe pourtant le vif de la sensation, la chair de la présence, l’évidence du vécu. Ils ne sont que les pauvres étiquettes, fioles vides où l’on suppose qu’un jour il y avait un goût, une odeur, un son, les pétales de roses piquaient cet après-midi-là et elles sentaient la peur de l’échec, qui est bien différente de celle du jeu amusé. Seule peut-être la musique pourra nous chanter ce que nous ne savons exprimer !
Écrire
D’une traite
Pour tout dire
Mais la censure m’arrête
Et les mots meurent dans mes mains.
3 Les notes nocturnes
L’instrument muet
Les mains qui tremblent
Trop remués
Pour se retrouver ensemble
Alors qu’une mélodie entre deux
Suffirait pour qu’ils retombent amoureux
L’instrument muet
Les mains qui tremblent
Le temps tué
A ce qu’il semble
Non, nous avons fait fausse route : les notes ne savent pas les couleurs, elles sont huit dans la gamme, l’arc-en-ciel n’a que sept nuances, les synesthésies sont des charlatanes. Le rythme ouvre sur la transe, peut-être, mais même l’extase où mène-t-elle ? Il y a peut-être le Divin niché entre la nuance qui sépare un do dièse d’un ré bémol, et nos oreilles ne peuvent l’entendre. Même les chiens ont un spectre auditif plus large que le nôtre. Qu’entendent-ils dans cet inframonde ? Les fantômes des morts qui n’ont pas encore vécu leur parlent-ils dans l’oreille ? Combien de couches de réalités transpercent le monde que nous n’imaginons même pas ? Les roses savaient, elles. Elles avaient bien tenté de s’envoler, mais il s’accrochait à leurs tiges. Elles lui auraient dit qu’un silence allait le rendre sourd, et pourtant, il a tenu, très fort, à se jeter dans ce piège-là que lui a tendu son cœur…
Pas un seul son
Qui ne sort
Pas un accord
Alors pour une chanson…
Et les notes se noient dans nos nuits
Comme nos vies s’éventent dans le vide.
Les roses ont fanées, il a pris quelques rides
Il a été mort de honte ; il en rit aujourd’hui
(notre deuxième voix ): peut-être était-ce dans les rires qu’on aurait dû chercher ?
Instruments
- Voix
- Guitare
- Violon
- Contrebasse
- Batterie
Sur scène
Une deuxième personne lit les trois textes.
Photo : “Main de bronze” de Claire.