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Un fou parmi les faux

(Deux chaises vides sur la scène. Le fou entre du fond de la scène, lentement, en prenant soin de regarder s’il n’est pas suivi. Rassuré, il s’assoit sur la chaise près de laquelle se trouve le microphone et commence à parler à la seconde chaise comme si quelqu’un était assis dessus)

Regarde, comme elle est triste la vie de ces grands
Qui font partout le geste de sortir un écran
Crois-tu qu’on peut leur dire d’arrêter ces bêtises ?
Puisque pour voir au pire nos deux yeux nous suffisent

Qu’ils oublient leur téléphone, cessent d’user de filtre
Notre vue est si bonne qu’on peut tout voir sans vitre
On peut toucher sans gants avec nos bons vieux doigts
Et même parler aux gens juste parce qu’ils sont là

Crois-tu qu’on puisse se permettre de suggérer
De se sortir d’Internet et d’oser un arrêt ?
Ici et maintenant, c’est là qu’on est le mieux
On aura bien le temps de voler dans les Cieux

Comme je ne suis qu’un couard, je n’ose dire enfin
Ils ne vont pas me croire, essaye, toi le bambin
— Je manque de courage et je n’en suis pas fier ­—
Qu’un concert se partage avec d’autres derrière

Peux-tu leur faire entendre qu’on peut se respecter ?
En s’abstenant de tendre de quoi enregistrer
Que le public est plus beau, quand bien même ça le fâche
Qu’un amas de robots aux visages morts sans flash

Toi qui n’a pas de barbe, même pas trente-six chandelles
Sais-tu la langue barbare de ces gens virtuels ?
Quels voiles faut-il inventer, voire quelles médiations
Pour pouvoir leur parler sans vaine prétérition ?

(Le médecin entre à son tour. Il s’approchera du fou jusqu’à le prendre par les épaules)

Mais comme tu n’existes pas, je n’aurais pas d’apôtre
Je n’oserai faire le pas d’aller parler aux autres
Ça reste dans cette pièce, comme on souffle « je t’aime »
A l’oreille d’une maitresse, ce secret : carpe diem.

(Après les derniers mots, le médecin emporte le fou qui se laisse faire. On aperçoit sur le dos de son t-shirt, écrit en grand et comme avec du sang : « ne filmez pas bande de c… s’il vous plait !)

8 juin 2016, dans l’avion entre Santiago de Chile et Madrid quelques heures après un concert de Manuel García durant lequel nous avons dû parfois regarder les écrans de téléphone des “chasconas” devant nous pour y voir quelque chose…

Photo d’entête : “Paparazzi !!!” par Craig Sunter