1) Quand j’étais au CP, M. Garcia avait un rituel : nous allions sur le tapis devant l’estrade écouter « Ouvrez la cage aux oiseaux » de Pierre Perret (que j’avais compris à l’envers), puis nous allions nous rasseoir et quelques uns jouaient la saynète de la leçon de la veille. Tous les matins, je voulais jouer un rôle dans ces petites pièces. L’instituteur me prenait souvent mais ne pouvait pas le faire tous les jours. Les autres n’étaient pas vraiment volontaires, ils faisaient ça mal, et moi je voulais ma place attitrée quotidienne, pensionnaire de l’estrade.
Un jour, M. Garcia ne m’a pas pris et je voulais absolument jouer. C’était une histoire de clown. Alors je me suis levé tout seul pour aller sauver une scène que deux autres n’arrivaient pas à mener, et au moment de monter sur l’estrade sans attendre qu’on m’y invite, je m’y suis pris les pieds et suis tombé. Les élèves n’ont pas rigolé mais l’instituteur m’a dit que c’était bien fait pour moi, que je n’avais pas à m’imposer. Je suis retourné à ma place et je n’ai plus eu envie de remonter sur une scène de ma vie, même si ça a dû m’arriver quelques fois en groupe. Si je suis une vraie pipelette en petits groupes ou en face-à-face, je n’ai jamais pris un micro en manifestation ou ne me suis jamais mis sur l’estrade. Je déteste avoir à draguer une foule, à jouer sur l’émotion puisque j’aime parler à l’intelligence des gens. Dans mon boulot de prof, je tourne au milieu des élèves et aime me mettre derrière eux, jamais à faire le spectacle au tableau, même si leurs regards ne m’impressionnent pas…
2) Quand j’étais non-injecté, la société m’a laissé tomber comme une vieille chaussette, voire m’a laissé insulter par des gros porcs, du genre que j’étais comme un violeur, un tueur, un terroriste. Je suis pro-Russe, climato-réaliste, ‘complotiste’ raisonnable, anti-LGTBFGDHF, je ne suis pas loin d’être le portrait-type de ce que la république otano-francmaçonne déteste et je ne suis pas loin de la détester avec la même intensité : je ne vois pas pourquoi j’aurais à draguer ces gens à qui je ne souhaite pas toujours du bien. J’avais pourtant préparé une chanson grivoise, légère, un truc que la société du spectacle, athée et stupide aurait pu aimer, mais même ça elle pourrait le trouver misogyne (ça l’est, un peu, tendrement, avec délicatesse) et je ne vois pas pourquoi je devrais me défendre ; à chaque fois que me vient une chanson, ces derniers temps, c’est quelque chose de punk, qui vire vite à la lettre d’insulte (je sais, oui, je te l’accorde, je suis négatif)
3) Je ne vois pas l’intérêt de me mettre sur scène, ni moi ni aucun chanteur puisque je trouve que regarder des gens jouer est universellement inintéressant passé 5 minutes : je rêve de me mettre dans une fosse d’orchestre ou derrière la foule et de laisser la scène occupée par des acteurs ou danseurs. Je ne vois pas l’intérêt de mettre ma tronche pas terrible sous les regards des gens, pas seulement à cause de M. Garcia, pas parce que j’ai peur de leurs regards, de les prendre en otage, d’avoir à les séduire et de ne me sentir comme une pute, mais parce que je ne vois pas ce que je foutrais là, je m’y trouverais inutile…
Photo d’entête : « Timide » par Cédric EBERHARDT
