A la recherche du temps qu’il nous reste avant la torture étatique

J’avais un jour, du temps que j’étais un jeune délinquant numérique qui savais encore comment on fait, téléchargé de manière juste un peu clandestine A Clockwork Orange en deux parties. J’ai vu la première, mais n’ai pas réussi à m’accrocher pour voir la seconde, la torture psychologique d’Etat me semblant plus difficile à supporter que le dandysme hyperviolent. 2023 et la bibliothèque de Colmar m’offrant une séance de rattrapage, je vais m’acheter des pinces pour ne pas garder « les yeux grands fermés » et terminer ce Kubrick un jour dans ma vie.

Le film est proposé dans le cadre de la nuit de la lecture dont le thème, cette année, est la peur. Après le « grand enfermement » foucaldien de 2020, la psychose entretenue et l’hystérie médiatique permanente, voire le chaos qui nous pend au nez comme une grosse morve qui n’a rien à envier à un caillot sanguin de rat de laboratoire, les fonctionnaires qui ont pondu ce thème halloweenesque avec quelques semaines de retard, sont des grands génies utiles à la société ! (Ou lancer ici des hypothèses complotistes). Mais c’est au moins d’actualité :

Stanley Kubrick décrit son film en décembre 1971 dans Saturday Review comme « une satire sociale traitant de la question de savoir si la psychologie comportementale et le conditionnement psychologique sont de nouvelles armes dangereuses pouvant être utilisées par un gouvernement totalitaire qui chercherait à imposer un vaste contrôle sur ses citoyens et en faire à peine plus que des robots.

In Wikipedia We Have To Trust

Le rapport entre le film et le thème de la peur est on ne peut plus tiré par les cheveux (m’en fout je ne crains plus grand-chose en capilotractage à en faire baver de jalousie un ingénieur de Liebherr), mais admettons-le sans broncher, en bons citoyens.

J’aurais ensuite possibilité d’aller boire une bière avec les gens présents avec moi pour nous remonter le moral (je ne me drogue pas, je ne peux rien leur fournir) et d’aller écouter des textes dans la foulée, ici ou là, pour cette soirée sponsorisée par le Dr Jérôme Salomon et ses chapelets mortuaires, les antidépresseurs de Gilead et les opiacés de Pfizer…

Si on veut rire un coup, il y a des snobs qui perdent leur temps à lire A la recherche du temps perdu de Proust toute la nuit au Museum de la ville et on peut aller ricaner bourdieusement à voir comment ces gens se prennent les pieds et les yeux dans les longues phrases toute en volutes et imparfaits du subjonctif, tout ça pour de la philosophie de café du commerce, de plates péripéties mondaines et de la pompe mielleuse qui ne nourrit que de l’agrégatif.ve tordu.e1 ravi.e de donner tous les gages de docilité et de soumission afin de jouir du système. Si je trouve un texte critiquant Proust, il se peut que je tente une double lecture en direct… Il paraît que Jack Kerouac écoutait du jazz et du Bach en même temps pour écrire Sur la route, le slam expérimental a peut-être des beaux jours devant lui. Ou alors, nous allons nous laisser attendrir sur les 30 pages d’introspection minutieuse décortiquant les effets de la petite sonate de Vinteuil sur le jeune Marcel, ô la petite sonate ! En gros, on verra, l’improvisation n’est pas encore interdite par la loi.

Allez, les droogies, rions un peu, c’est bien un truc que les robots et autres mutants neuromodulés qui vont nous remplacer bientôt (pourquoi un Etat totalitaire chercherait à contrôler des inutiles ?) ne sauront pas faire ! Et même pas peur !

Note

  1. On ne comprend ici toute la portée de l’allusion, que si on sait que cette année, Proust est au programme de l’agrégation de lettres modernes. ↩︎